UN
JACQUET DE GRAZAC
Du Puy-en-Velay à St Jacques de Compostelle
(à l'extrême Ouest de l'Espagne) 1600 km attendent le Pèlerin. C'est donc une grande marche mais, s'agissant de Pèlerinage c'est
plus encore une démarche. J'ai eu le privilège d'effectuer
la totalité du parcours - par tronçons - le dernier en
mai de cette année 2007 de Bélorado (Espagne) à
Santiago soit 550 km
Monsieur le Curé de la Paroisse m'a demandé de rédiger
un article à l'intention des lecteurs de " Chez Nous ".
Je l'en remercie et c'est très volontiers que j'y réponds.
Il ne s'agit pas dans les propos qui suivent d'une dissertation supplémentaire
sur un sujet abondamment connu et commenté, notamment dans notre
Région du Velay, point de départ de la " Via Podiensis
" qui voit chaque année des milliers de Pèlerins
s'engager sur le chemin. Il s'agit très simplement de livrer
ce qui m'a le plus touché, ce que j'ai le plus retenu et qui
me paraît important de conserver. C'est en quelque sorte le témoignage
d'un paroissien.
Avant d'aborder le côté plus personnel, il me paraît
nécessaire d'évoquer brièvement quelques généralités
sur ce pèlerinage de St Jacques. Il s'agit du St Jacques Apôtre
(Un des douze). Celui que l'on nomme Jacques le Majeur, fils de Zébédée
et de Marie Salomé. Frère de St Jean l'Evangéliste il fut l'un des premiers
à répondre à l'appel du Christ. D'après
une tradition très ancienne, il aurait évangélisé
la Côte Ibérique (l'Hispanie - Espagne - Portugal). A son retour à Jérusalem et sur ordre d'Hérode
Agnipa Jacques fut arrêté, mis en prison, condamné
à mort et décapité. Cela se passait en l'an 41-44.
Il fut ainsi, le premier martyr des douze apôtres. Son corps fut recueilli par deux de ses disciples et transporté
par mer en Espagne pour y recevoir une sépulture.
La légende, mais aussi des documents attestés, des découvertes,
des événements historiques au fil des premiers siècles
sont tels que le tombeau de l'Apôtre ainsi que des restes sont
considérés comme étant ceux découverts en
810-813 par l'Ermite Pelagius et par l'Evêque Théodomir.
Cela dans le Champ de l'Etoile devenu Compostelle." Campus Stellae
"
|
Ainsi depuis plus de mille ans
maintenant, des millions de Pèlerins (Les Jacquets) viennent
de tous les coins du monde se recueillir sur la tombe de l'Apôtre.
En l'an 950 L'Evêque du Puy se serait rendu à cheval
à Compostelle.
En France on distingue 4 voies principales aux départs ;
1) Le Puy-en-Velay (La Via Podiensis)
2) Tours (La Via Turonensis)
3) Vézelay (La Via Lemovicensis)
4) Arles (La Via Tolosana)
Ces quatre chemins se rejoignent de l'autre côté des
Pyrénées à Puenta-laReina pour former en Espagne
le " Camino Francès "
La France n'a pas seule le privilège des chemins de St Jacques.
L'histoire, la tradition, la légende antique se mêlent
pour évoquer le songe de l'Empereur Charlemagne.
St Jacques (Pèlerin) lui serait apparu, lui demandant de
délivrer la voie de son tombeau alors aux mains des Sarrazins.
- Mais comment trouverai-je ce chemin ?
- Tu n'as qu'à suivre le Chemin d'Etoiles.
En fait ce chemin d'Etoiles serait la Voie lactée dont la
projection sur le sol de l'Europe s'étendrait de la mer du
Nord à l'Océan Atlantique entre Compostelle et le
Cap Finistère (point extrême Ouest de l'Europe)
Ces chemins de St Jacques (chemins d'Etoiles) ont été
adoptés en 1987 par le Conseil de l'Europe. |
Pour les Pèlerins qui choisissent la "
Via Podiensis " le premier contact se fait en la Cathédrale
du Puy par la messe des Pèlerins à 7 heures le matin.
Après la bénédiction,
le Pèlerin reçoit la Créancia et le guide de la
Créanciale.
Qu'est ce que la Créanciale ?
C'est un document " passeport " remis par l'Église
au Pèlerin afin que ce dernier puisse le présenter tout
au long du chemin dans les lieux d'accueil - gîtes, Tables d'hôtes,
Hôtels, Couvents etc... partout où il sera hébergé.
En règle générale le Pèlerin apporte avec
empressement le plus grand soin à faire viser sa Créanciale
chaque soir. Cela constitue un sceau de pointage qui lui permettra de
justifier de l'authenticité de son pèlerinage et de recevoir
la " Compostella " (document officiel) à l'accueil
de la Cathédrale St Jacques à Santiago.
(à suivre)
Roger Sarda
"Un jacquet de GRAZAC" Suite
Il n'est pas possible de citer ici tous les édifices
grands ou petits, illustres ou moins illustres que l'on peut rencontrer
sur le chemin. Un chapitre culturel s'y rapportant, nécessiterait
un gros travail tant sont nombreux les merveilles pour la plupart d'essence
religieuse qui jalonnent le parcours.
Ce sont des témoins
En voici quelques uns qui constituent des étapes incontournables...
- La Cathédrale du Puy (son cloître, la Vierge Noire)
- La Collégiale St Médard à Saugues (sa Vierge
en Majesté) (sa piéta - son Trésor)
- L'Eglise d'Aubrac
- L'Eglise de Perse à Espalion (Aveyron)
- L'Eglise St Fleuret à Estaing
- La Majestueuse Abbatiale Sainte Foy de Conques (et son Trésor)
- La Cathédrale St Etienne de Cahors
- L'Abbaye St Pierre de Moissac (son tympan - son cloître)
- L'Abbaye de Flaran dans le Gers
- L'Eglise Notre Dame à Roncevaux
- L'Eglise Sainte Quitterie à Aire-sur-l'Adour (portail sculpté)
En Espagne :
- L'Eglise Romane San Pedro de la Rua à Estella
- La merveilleuse Église du St Sépulcre à Torrès
del Rio
- La Cathédrale et sa Vierge en Majesté à Santo
Domingo de la Calzada.
- La Cathédrale Santa Maria de Burgos.
Une des plus belles d'Europe décrite comme " l'uvre
des Anges " par le roi d'Espagne PhilippeII.
A Léon :
- La Cathédrale Santa Maria (grand Gothique)
- La Collégiale San Isodoro et son Panthéon Royale.
- Le couvent de San Marcos (un trésor à voir)
A Santiago : Point d'orgue du pèlerinage -.
- La Prestigieuse Cathédrale St Jacques.
Ses Chapelles, Cryptes, son Maître Autel, son Trésor, Musée,
Reliquaire, son Portail de la Gloire...
Sans compter l'ensemble de la Ville Historique (Places - Palais -Monuments
- Églises - Monastères - l'Hôtellerie des rois Catholiques
etc...
Mais il faudrait ... beaucoup de jours.
Je n'ai pas choisi davantage de m'étendre sur le cheminement
proprement dit à savoir : préparatif beauté des
paysages etc. Je dirais simplement que ce parcours mythique est magnifique.
La Splendeur des Splendeurs serait peut-être l'Aubrac mais aussi
la Via Podiensis du Puy à la Porte d'Espagne à St Jean-
Pied- de - Port.
Le passage France-Espagne par Roncevaux nécessite le franchissement
des Pyrénées... ça monte, mais les paysages sont
impressionnants. On étanche sa soif à la Fontaine de Roland,
on s'arrête à la borne marquant St Jacques de Compostelle
765 KM puis encore au Col Lépoeder à 1430 mètres.
C'est enfin Roncevaux. La dénivelée depuis St Jean-Pied
de Port a flirté avec les 1200 mètres.
Le parcours Roncevaux-Belorado ne laisse pas de souvenir impérissable,
au delà on atteint la Castille et son immense plateau. C'est
peut-être là, paradoxalement dans la solitude des longs
chemins au milieu des blés en herbe, que le pèlerin se
retrouve le plus face à lui-même et qu'il peut, dans l'humilité
nécessaire trouver tout son sens à son pèlerinage.
Après Léon, une autre partie montagneuse se profilant
à l'Horizon ; des chemins vallonnés y conduisent, découvrant
de temps à autre, de très jolis petits villages. Puis
ces chemins deviennent de Crête jusqu'à des altitudes avoisinant
les 1500 mètres. Les paysages sont splendides.
La Galice approche, on y arrive à Océbreiro village historique
des pèlerins qui culmine à 1300 mètres.
Ouf ... plus que 150 km.
Ce sont 150 km très variés tant par la topographie que
par le climat qui devient de plus en plus Océanique Crêtes,
descentes, cois, Villages se succèdent, Greniers à grains
(les horréos) Chapelles, Forêts de Châtaigniers,
Rios... , la Galice est très agréable à découvrir
parce que restée authentique.
Le but approche : à Lavacolla, la coutume veut que le pèlerin
se lave dans le ruisseau avant son arrivée à Santiago.
J'ai sacrifié à cet usage. A portée de main, le
monde Del Gozo (ou Mont de la Joie) d'où l'on peut découvrir
non sans émotion au loin dans la brume, les flèches de
la Cathédrale St Jacques. Encore un effort, 5 km et c'est la
Place de l'Obradoiro, le Porche de la Gloire... La Majesté d'une
cathédrale
Après ces généralités : bien incomplètes
pour un tel sujet, voici quelques propos personnels concernant ma propre
démarche sur ce chemin de Compostelle où je rejoins ceux
et celles qui déjà l'ont qualifié de Chemin de
Transformation.
On dit de la Culture : " c'est ce qui reste quand on a tout oublié
" C'est un peu la même chose après ce long périple.
Si le but a été atteint, il ne constitue pas l'Aboutissement
; celui-ci reste en " devenir " il faudrait repartir, le chemin
Continu...
Pourquoi ai-je entrepris ce Pèlerinage ?
Pour deux raisons. La première (purement profane parce que je
l'envisageais environ à 50 %) comme un genre de Treeking au long
cours revêtant un certain caractère sportif lequel serait
partagé avec Monique mon épouse et un couple Ami.
La deuxième (à 50 % également) parce que ce Treeking
était aussi un Pèlerinage et qu'en conséquence
à la première motivation s'en rajoutait une plus noble
(si je puis dire) revêtant un caractère religieux auquel
se mêle intimement le caractère culturel.
Les deux raisons évoquées ci-dessus ont évolué
au cours du périple... Tout d'abord aux deux couples amis sont
venus s'adjoindre quatre autres couples, également amis, tentés
par l'Aventure.
SUITE ET FIN DE L'ARTICLE : UN JACQUET DE
GRAZAC
Le côté Treeking sportif a perdu de son importance : il
était résolu malgré les aléas ; cela allait
de toi à chaque jour suffisait sa peine.
Par contre l'aspect pèlerinage - à titre individuel -
a pris plus de place au fil des jours et des kilomètres. Chaque
personne étant différente d'une autre, la démarche
vers Compostelle peut-être ressentie et vécue d'autant
de façon différentes.
La foi dont on dispose, l'intention que l'on porte, jouent certainement
un grand rôle dans le vécu de la démarche. Il y
a des incroyants sur le chemin, des pèlerins dans le doute -,
s'ils sont là c'est qu'ils cherchent ou tout au moins qu'ils
sont en Eveil, ouverts, accueillants à tout ce qui peut leur
arriver ou les toucher. Je pense que sans le savoir peut-être,
ils ont l'envie de l'Espérance -, de celle contenue dans ces
paroles de Jésus -.
....."Il y a des derniers qui seront premiers"
J'étais un croyant sur le chemin, j'avais donc " à
jouer le jeu ", c'est à dire à tirer conséquence
de la déclaration de " Jésus de Nazareth " Jésus
le Christ. . ". ... .."Je suis le
Chemin ... la Vérité... la Vie"
Sur ce dernier parcours Belorado-Santiago, je me suis beaucoup attardé
à ce chemin de l'Évangile, à y penser tout simplement.
J'ai donc été attentif à ce qui m'a été
donné de percevoir soit par la lecture, réflexions, rencontres,
événements... en voici quelques exemples -.- De Christian
de Chergé, Moine de Thibirine en Algérie, un des sept
ayant été assassinés ...
" On ne rencontre l'autre qu'au niveau où on le cherche,
la rencontre de l'autre est un long pèlerinage. Testament spirituel
? Peut-être ... qui l'a conduit à nommer " l'ami de
la dernière minute " celui qui lui a donné la mort.
Il faut être très fort pour tenir ce langage ; la leçon
que j'en tire est qu'il faut chercher l'autre au niveau le plus élevé
possible.
- De Jean Paul Il pape et pèlerin -.
....... " La démarche du pèlerin revêt une
grande importance -, le pèlerinage symbolise notre vie. Il signifie
que vous ne voulez pas vous installer, que vous résistez à
tout ce qui tend à émousser vos énergies, à
étouffer vos questions, à fermer votre horizon. Il s'agit
de se mettre en route ... ... Jésus est notre chemin, il nous
accompagne. "
La matérialité du chemin passe au second plan, on se sait
accompagné et on imagine aisément que Celui qui nous accompagne
peut tout autant nous attendre au bout du chemin. On sait qu'on peut
lui confier toutes nos intentions et si notre mémoire est défaillante
pour les contenir, Lui a une besace suffisamment grande pour les porter.
Dans un petit village près de Cahors, à Lascabanes, où
nous avons fait halte le 27 mai 2004, nous avons eu droit dans l'humble
église du village au lavement des pieds et, à l'issue
de la messe, à la bénédiction des pèlerins
Quel magnifique geste d'accueil de la part de ce prêtre.
Ailleurs, dans l'église de Miramont-Sensacq (dans les Landes)
le 12 mai 2005, le Père Roger Laguian (curé de la paroisse)
nous a invités Monique et moi à rejoindre un autre couple
de sa paroisse pour célébrer en commun nos 50 ans de mariage.
C'était inattendu... quel privilège et quel souvenir d'avoir
été associés ainsi, dans une paroisse où
nous étions inconnus, à une cérémonie en
tous points remarquable... ponctuée par un apéritif convivial
réunissant pèlerins et landais.
Oui le chemin nous laisse des souvenirs particuliers de rencontres
C'est une poignée de mains franche et spontanée,
C'est une invitation à s'asseoir et boire un coup... en passant,
C'est celui-ci dont on fera un ami,
C'est celle-là, solitaire, qui vous dit n'être jamais seule
sur le chemin,
C'est à San Juan de Ortega, la soupe à l'ail servie après
la messe du soir à tous les pèlerins par le curé
du village... Quelle belle leçon de fraternité de la part
de ce vieux prêtre.
C'est cette prière arrachée de nos tripes un soir de querelle...
dans le groupe. C'est beaucoup d'invitations dont celle pressante de
voir dans les évènements qui nous sont donnés,
une composante de notre propre chemin.
Je citerai ici un passage emprunté à Joseph Ratzinger
(Benoît XVI) dans son magnifique livre " Jésus de
Nazareth " :
" L'amour est toujours un processus de purifications, de renoncements,
de transformations douloureuses de nous-mêmes et, ainsi, le chemin
de la maturation "
La confession pour ceux que la désirent fait partie intégrante
du pèlerinage ; Dans la Cathédrale St Jacques, presque
en permanence, des prêtres sont là, dans l'attente, au
service du pèlerin. J'ai profité d'un moment de calme
dans le grand sanctuaire pour réfléchir à cette
démarche sur le thème
"Si tu savais le Don de Dieu"
Qu'aurais-tu fait ?
Qu'as-tu fais ou que n'as-tu pas fait ?
Je crois très fortement que se poser la question aujourd'hui
"Si tu savais le don de Dieu" et essayer d'y répondre
peut éviter bien des gâchis.
J'ai fait l'expérience d'une confession où de part et
d'autre la barrière partielle de la langue posait problème
sans toutefois compromettre l'essentiel ; et j'ai compris que là
où le coeur réclame, l'Esprit donne. J'ai compris l'universelle
grandeur du pardon.
J'ai remarqué en Espagne le peu d'usage qui est fait de la langue
française. Il faut dire que sur le chemin nous sommes loin d'être
majoritaires. On y côtoie toutes les nations : brésiliens,
canadiens, allemands, anglais, hollandais, gens des pays nordiques ...
etc.
A Santiago, dans la cathédrale, tout ou presque est dit en espagnol...
un peu de latin parfois, anglais ou allemand.
J'ai assisté à deux ou trois messes des pèlerins
à midi dont celle-ci le dimanche 3 juin. Messe très solennelle
concélébrée par un nombre impressionnant de prêtres
de tous grades. Homélie magistrale en langue espagnole... quelques
chants en latin.... Vint l'offertoire, puis la consécration suivie
des prières et oraisons tout à tour données par
quelques cocélébrants... Soudain une voix bien française
comme par enchantement monte de l'autel ; je lève les yeux pour
la découvrir... c'était la voix d'un prêtre de couleur...
de couleur noire, un vrai noir. Je ne sais si ce fut en moi un réveil
patriotique ou une intuition venue d'ailleurs, peut-être un peu
des deux, mais j'ai ressenti très fortement le sentiment de la
fraternité et cru comprendre que ce noir était mon frère
... ça je ne l'oublierai jamais.
Tous les pèlerinages même les plus petits sont des chemins
de transformation.
Que le lecteur veuille bien m'excuser de ces confidences initialement
réservées à mes enfants et petits enfants ; Elles
n'ont d'autre motivation que l'Espérance. Pour abonder en ce
sens voici en guise de conclusion ce message emprunté... quelque
part... sur le chemin. Marche, tes pas seront tes mots, le chemin ta
chanson, la fatigue ta prière Et ton silence enfin parlera.
Un autre marche avec toi et te cherche
Pour que tu puisses le trouver ... va
Déjà Dieu marche avec toi. "
Roger SARDA Octobre 2007
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